L’action en contestation d’un testament la plus fréquente est celle de l’héritier pour insanité d’esprit du testateur. En effet, l’insanité d’esprit est assimilée à une abolition du consentement qui rend invalide le testament.
La jurisprudence constante rappelle systématiquement que selon l’article 414-1 du Code civil, pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte.
L’article 901 dispose que pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence.
L’insanité d’esprit peut être définie comme toute affection mentale par l’effet de laquelle l’intelligence du disposant a été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée. Le testateur est ainsi incapable de manifester une volonté lucide ce qui est assurément le cas lorsque le disposant souffre d’une affection mentale obnubilant son intelligence ou sa faculté de discernement.
Cette notion ne doit pas être confondue avec celle d’altération des facultés mentales, cause d’ouverture d’une mesure de protection, même si, dans certaines circonstances, l’existence d’une mesure de protection peut constituer un indice de l’insanité d’esprit.
En effet, l’insanité d’esprit est une notion autonome du régime des incapacités, c’est-à-dire qu’elle peut être invoquée, que l’auteur de l’acte soit ou non placé sous curatelle ou tutelle.
En 2021, la Cour d’appel de Bourges a, par exemple, jugé que même si la mesure de tutelle a été ordonnée postérieurement au testament litigieux, l’appelant établissait de manière suffisante la preuve qui lui incombait de l’insanité d’esprit de la testatrice à la date de la rédaction de son testament dont l’annulation est ainsi justifiée (CA Bourges, 12-08-2021, n°20/00791)
A l’inverse, le fait que le testateur soit placé sous un régime de protection ne suffit pas à démontrer l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte.
La Cour d’appel de Lyon a ainsi considéré que l’autonomie de droit entre la notion d’insanité d’esprit, en tant que cause d’annulation d’une libéralité, et les causes d’ouverture d’un régime de protection, n’interdit pas de prendre en considération pour apprécier la validité d’un acte de disposition à titre gratuit, le contenu des pièces et actes établis au cours d’une instance de mise sous tutelle, sans que la mise en place d’un régime de protection des majeurs au bénéfice du testateur, suffise à démontrer l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte (CA Lyon, 23-11-2021, n°20/01085)
La Cour d’appel de Rennes a également rappelé que, dès lors que l’altération des facultés justifiant une protection durable ne se confond pas avec le trouble mental ponctuel justifiant l’annulation d’un acte, en l’occurrence un testament, la mise en place d’une mesure de curatelle antérieure à la rédaction du testament ne saurait suffire à emporter présomption d’insanité d’esprit du testateur au moment de l’acte (CA Rennes, 05-10-2021, n°19/04684)
L’insanité d’esprit doit également être distinguée des vices du consentement qui affectent ce dernier, mais ne l’annihile pas.
Il revient à celui qui invoque l’insanité d’esprit du testateur de le prouver et cette preuve est libre puisqu’il s’agit d’établir l’existence d’un état de fait, elle peut donc être administrée par tous moyens.
La preuve, qu’il revient au demandeur d’administrer, est celle de l’insanité d’esprit au moment de l’établissement du testament.
Aux termes d’une jurisprudence de principe de la Cour de Cassation (Civ., 4 février 1941, D.A. 1941 I 113 – 1ère Civ., 11 juin 1980, Al. n° 184), une telle preuve est établie si son auteur était dans un état habituel de démence avant et après la passation de cet acte. La preuve contraire pourra cependant être rapportée par les bénéficiaires, en l’espèce les légataires universels, et, dans ce cas, il leur reviendra d’établir que l’auteur de l’acte avait agi dans un intervalle de lucidité au moment de la rédaction du testament.
Deux conditions cumulatives sont requises pour que le testament puisse être annulé sur le fondement de l’insanité d’esprit : l’existence d’un trouble suffisamment grave (1), contemporain à la rédaction du testament (2). Cette notion doit, en outre, être invoquée par des personnes compétentes (3).
1/ L’existence d’un trouble suffisamment grave
La notion de gravité n’est pas définie par les textes. On comprend toutefois qu’il s’agit d’une altération des facultés psychiques qui affecte le discernement, au point de priver le contractant de lucidité ou de volonté.
Ce trouble mental peut trouver son origine dans diverses causes, telle qu’une maladie mentale, un état congénital, l’effet de l’alcool ou de la drogue. Il importe peu, par ailleurs, que le trouble soit total et prive complètement l’intéressé de sa raison. Il faut, en revanche, qu’il soit suffisamment grave.
L’appréciation de cette gravité relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. Com, 16 décembre 2014, n°13-21.479)
A ce titre, les juges du fond se basent sur un faisceau d’indices, le plus souvent, sur des actes établis par des médecins. En effet, ceux-ci peuvent s’affranchir du secret professionnel pour livrer les informations nécessaires à l’évaluation du consentement du défunt au moment de l’écriture de ses dernières volontés.
La jurisprudence constante affirme notamment que la disposition de l’article 901 du Code civil vaut autorisation de révélation du secret médical au sens de l’article 226-14 du Code pénal (Cass. Civ 1ère, 22 mai 2002, n°00-16.305 ; Cass. Civ 1ère, 2 mars 2004, n°01-03.333)
Les juges sont très rigoureux avec cette notion de gravité. Il existe plusieurs situations dans lesquelles les juges admettent de retenir l’existence d’une insanité d’esprit du testateur (a) mais d’autres dans lesquelles les juges ne l’admettent pas (b).
Cas de nullités du testament pour insanité d’esprit prononcée par les juges
L’insanité d’esprit a pu être admise pour la monomanie d’un testateur consistant dans l’idée fixe qu’il était entouré d’assassins (Req, 8 février 1853).
De même, elle a été admise pour un état de faiblesse psychologique et un syndrome dépressif, faisant perdre au testateur son libre arbitre (CA Bordeaux, 23 mars 2010, n°08/01716)
Plus récemment, la Cour d’Appel de Versailles a annulé un testament olographe pour insanité d’esprit au motif que le défunt souffrait de manière habituelle et permanente d’un trouble psychique obnubilant son intelligence ou sa faculté de discernement depuis quelques années, persistant à l’époque de la rédaction du testament et postérieur à celui-ci qui ne lui permettait pas de manifester une volonté lucide (CA Versailles, 22-03-2022, n° 20/0471)
La même Cour d’appel a prononcé la nullité d’un testament rédigé par un testateur qui souffrait d’une maladie de Parkinson depuis des années au motif que cette maladie comportait, outre des troubles de langage et de la motricité, des troubles des fonctions cognitives, notamment un syndrome dysexécutif, l’ensemble de ces symptômes s’aggravant avec le temps (CA Versailles, 29-03-2022 n°20/01942)
Cas où la nullité du testament pour insanité d’esprit a été écartée par les juges
L’insanité d’esprit a pu être écarter en cas de simple faiblesse de caractère (CA Versailles, 4 décembre 1992).
Plus récemment, la notion de gravité a été écartée au motif que même si le testateur peut connaitre un affaiblissement du fait de son âge, il n’est pas avéré que son état l’empêchait d’avoir conscience de ses actes et qu’il était privé de tout discernement (CA Pau, 21-03-2022 n°15/04316)
La première chambre civile de la Cour de cassation a également rappelé l’importance de la preuve de l’insanité d’esprit, considérant que l’établissement d’un mandat de protection future et d’une procuration générale par la de cujus était insuffisant pour démontrer l’insanité d’esprit de la de cujus lors de la rédaction du testament litigieux, en l’absence de pièces médicales sur ce point (Cass. Civ 1ère, 13-01-2021, n°19.16.392)
2/ L’existence d’un trouble contemporain à la rédaction du testament
S’agissant de cette condition d’ordre temporel, il importe peu que le trouble mental soit constant ou passager pour caractériser une insanité d’esprit. Il faut néanmoins qu’il ait été contemporain à la formation de l’acte.
En principe, il conviendrait de prouver que l’auteur de l’acte présentait, au moment même de la conclusion de celui-ci, des signes de dérangement.
En outre, les juges peuvent prononcer la nullité d’un testament pour insanité d’esprit de son auteur en se fondant sur l’état habituel du testateur à l’époque où le testament a été rédigé, sauf au bénéficiaire de la libéralité à établir que le rédacteur du testament était exceptionnellement dans un intervalle de lucidité au moment de la confection de l’acte (Cass. Civ 1ère, 11 juin 1980, n°78-15.129)
Ainsi, la jurisprudence constante estime que, dès lors que les adversaires n’apportent pas la preuve que le testateur jouissait d’un intervalle lucide lui permettant de révoquer des dispositions testamentaires antérieures, le testament doit être annulé pour insanité d’esprit (CA Paris, 3,1, 07-04-2021, n°18/23534)
La Cour d’appel d’Agen a, par exemple, déclaré nul et de nul effet un testament rédigé par une femme au vu de l’ancienneté de son état clinique de type maladie Alzheimer préexistant à la rédaction du testament. Elle en a donc conclu que la testatrice ne pouvait tester valablement et qu’à cet égard, la lecture du dossier médical exclut la possibilité d’intervalles lucides et conclut au caractère indispensable d’une aide constante. Ainsi, même si elle n’était pas sous un régime de protection prévu par la loi, elle ne possédait plus les facultés de discernement indispensables à son autonomie et devait bénéficier de l’assistance d’une tierce personne permanente dans tous les domaines (CA Agen, 22-03-2021, n°19/00878)
Enfin, la Cour d’appel de Nîmes a rejeté la demande d’annulation du testament pour insanité d’esprit au motif que même si le testateur a eu un geste suicidaire grave réactionnel à un état de psychose de femme, il n’y a pas, en l’espèce, de persistance d’un état dépressif franc après le geste et que cet évènement ponctuel éloigné de la date du testament litigieux ne saurait permettre de rapporter la preuve de l’insanité d’esprit du testateur (CA Nîmes, 30-01-2020, n°17/03853)
3/ L’invocation de l’insanité d’esprit par une personne compétente
Aux termes de l’article 414-2 du Code civil « De son vivant, l’action en nullité n’appartient qu’à l’intéressé.
Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d’esprit, que dans les cas suivants :
1° Si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental ;
2° S’il a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;
3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle ou aux fins d’habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future. »
Ainsi, il s’agit d’une demande en nullité relative qui ne peut être demandée que par les successeurs universels légaux ou testamentaires du de cujus (Cass. Civ 1ère, 4 novembre 2010, n°09-68.276)
Cela a été rappelé par la Cour d’appel d’Aix en Provence qui a affirmé, après avoir rappelé les dispositions dudit texte, qu’il était constant que la nullité pour insanité d’esprit ne pouvait être demandée que par les successeurs universels légaux ou testamentaires, ce qui conduit à exclure les successeurs à titre particulier (CA Aix en Provence, 22-09-2021, n°20/01951)
Il ne faut cependant pas oublier que l’action en nullité pour insanité d’esprit des donations entre vifs ou des testaments est soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil (Cass. Civ 1ère, 11 janvier 2005, n°01.13.133).
Cette prescription commence à courir au décès du disposant (Cass. Civ 1ère, 29 janvier 2014, n°12.35.341)
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